Les phrases creuses

Quelle coquille vide nous avez-vous pondue hier, mais que nous arriverons à remplir – bien heureusement – pour demain ?

 

Il serait tout à fait normal que vous vous demandiez si je suis – sérieusement – en train de vous considérer comme une poule.

Tout d’abord, je n’y vois aucun problème.
Pas de spécisme dans cette newsletter, une créature ne vaut pas moins ou plus qu’une autre.

Ensuite, ce qui vient dans cette newsletter ne serait en effet d’aucune utilité pour une poule puisqu’elle sait très bien remplir son œuf toute seule. J’ai presque envie de dire que la situation serait alors inversée, et que cette poule-lectrice serait outrée de lire ma méthode pour remplir une coquille dont elle sait très bien se charger depuis la nuit des temps. Peut-être arriverions-nous même à provoquer sans le vouloir une angoisse existentielle chez la poule : suis-je certaine de bien remplir mon œuf ?

Mais on s’égare. Revenons à nos coquilles et non à nos poules.

Donc, nous ne garderons uniquement cette image d’une coquille (sans l’histoire de la poule, et ne commencez-pas à réfléchir à qui est arrivé en premier entre la poule et l’œuf, sinon vous n’arriverez pas à suivre ce qui vient tout de suite), qui a toute l’apparence d’une coquille normale, mais qui a la particularité, et le défaut, d’être vide.

De quoi je parle, bon sang ?

Je parle de ces fameuses phrases qui paraissent tout à fait normales, mais qui sonnent en réalité tout à fait creux.

Par exemple : « Elle m’a regardé de son regard incroyable. »

Ça a l’air chouette ce regard, puisque vous avez utilisé le mot « incroyable » …

Mais à bien y réfléchir… je n’ai, mais alors AUCUNE idée d’à quoi ressemble ce regard ni ce qu’il provoque.

Je ne sais pas, s’il est incroyable parce qu’elle a des yeux d’une couleur particulière, si c’est parce qu’elle plisse ces mêmes yeux d’une certaine façon, ou bien si au-delà du regard, c’est tout son visage, son attitude qui change pour provoquer cet effet « incroyable » ?
Mais surtout : pourquoi est-ce qu’il est incroyable pour votre personnage ?
Ce regard l’irradie, le tétanise, le subjugue, l’hypnotise, le désarme, le rend plus fort… ?

On s’en fout qu’il soit incroyable si on n’a pas accès à ce qu’il a de si spécifique.

Si NOUS, lecteurs, n’avons pas les informations concernant ce regard, je vais vous dire ce qu’il va se passer :

1. On va se sentir exclu.

On ne comprend pas ce qu’il a d’incroyable ce regard, on n’a pas toutes les données, les codes, on ne sait ni de quoi il est fait ni ce qu’il provoque. On reste assis sur le banc, et on se demande pourquoi on nous a dit de venir au match si ce n’est pas pour nous faire jouer.

2. On décroche. 
Une fois ça passe, deux fois ça commence à être lourd, trois fois : on se casse.
C’est quand même pas cool de cirer le banc tout le match, vous n’êtes pas venu pour ça et vous avez le sentiment que quelque chose s’est vraiment joué en dehors de vous.

Donc, ces coquilles vides sont tout à fait dangereuses.

Il faut les cibler et les remplir (intelligemment).

  • Comment on repère une coquille vide ?

La plupart du temps, on repère une phrase creuse lorsque l’on utilise un adjectif que l’on ne justifie pas.
Typiquement, ici, le regard « incroyable » mais dont on ne sait rien.

Ou lorsque l’on utilise une expression figée : « Elle était belle comme le jour ».
C’est joli comme expression, mais ça ne nous dit pas grand-chose sur le type de beauté de la personne. Et on risque surtout… de tomber dans le cliché.

Le pire, c’est sans doute lorsqu’on écrit : « Il était d’une beauté indescriptible », ou « Il n’y a pas de mots pour la décrire ».

Là, on se dit en plus que vous vous arrangez super bien pour ne pas vous mouiller !

Attention : je ne dis pas qu’il est interdit d’utiliser ces phrases, je dis bien qu’elles seront considérées comme vides si vous ne les justifiez pas.

Cela n’a rien à voir de lire :

« Léa était belle comme le jour. »

et

« Léa, ce matin-là, avait ouvert un œil, puis le second, deux billes azur qui chassaient la nuit. Ses cheveux blonds étalés sur l’oreiller me réchauffaient comme un soleil. Léa était tout simplement belle comme le jour, elle incarnait pour moi un magnifique jour d’été ».

Donc, il faut toujours bien se questionner si ce que l’on écrit est clair et expliqué.

N’oubliez pas que ce qui est incroyable pour vous ou pour votre personnage est certainement bien différent de ce qui est incroyable pour le lecteur. Si vous ne créez pas cet espace commun, en expliquant et montrant votre univers, vous créerez un fossé entre vous.

Donc, pensez à bien remplir vos œufs, et je ne dis pas ça parce que c’est bientôt Pâques…

Et si vous avez un doute sur une coquille vide ou mal remplie, vous pouvez toujours m’écrire pour que l’on analyse ça de plus près !

 

 

Julia / Poisson-Plumes