Écrire jusqu’au sang…

Le plaisir d’écrire, il remonte à quand pour vous ?

 

Aujourd’hui je vous renvoie au collège, cette période à la fois bouillonnante de vie, de peines, de blessures, de trahisons, de cauchemars, de désillusions, de traumatismes… AHHH le collège, cette belle époque !

Bon, bien sûr, ces années collégiennes ne se limitent pas à ça, mais quand même, ce sont les années où le corps et l’esprit travaillent le plus.

C’est la période des grands chamboulements (mettez-y deux majuscules et franchement, on pourrait croire que c’est une vraie période historique).

Et parce que l’on est alors une sorte d’éponge, jetée sur une barque en pleine mer… une petite girouette prête à chavirer à tout moment (c’est bon le mix d’images, là ?), la moindre rencontre peut être décisive.

Je pense bien sûr aux élèves, aux amitiés qui se soudent ou se désunissent, mais je pense surtout aux PROFESSEURS.

Les professeurs, qui eux sont coincés dans ce magma d’êtres chamboulés.

Si on reprend notre comparaison précédente, le professeur est soit un phare, soit un récif. (ok c’est réducteur, mais les présentations binaires ont l’avantage d’être courtes et percutantes)

Soit il va durablement éclairer quelque chose en vous.
Cette épiphanie qui, un jour, alors que vous étiez à nouveau en train de vous torturer l’esprit à essayer de comprendre pourquoi votre amie vous faisait la gueule sans raison, et pourquoi vous aviez du lancer de javelot qui vous attendait l’heure suivante, vous a ébranlé sans prévenir.

Ça pouvait être une phrase, ça pouvait être un sujet, ça pouvait être tout simplement sa façon d’être habité et passionné par son cours, ça pouvait être la façon dont il vous a regardé et où vous avez (cru avoir) vu de l’empathie…

Ce prof-là, vous aimeriez aujourd’hui le croiser pour pouvoir lui dire :

« Ce cours du vendredi après-midi entre la boulette de papier que vous aviez prise en plein front et l’exclusion de Valentin qui fumait à la fenêtre, vous avez changé le cours de ma vie. »

Parfois, on ne s’en rend compte que bien plus tard.

Mais un professeur n’est pas toujours un phare. Un professeur peut aussi être un monstrueux récif contre lequel vous allez écraser toute votre bonne volonté.

Et maintenant que j’y pense, un professeur peut très bien basculer d’une catégorie à l’autre, d’une seconde à l’autre.

Remettez-vous dans votre corps frêle et ingrat d’adolescent, et vous verrez à quel point le professeur peut, finalement, aussi être considéré comme une girouette aux prises avec le (votre) vent.

Durant mes années collégiennes, j’ai eu la chance de rencontrer des profs inspirants.
J’avais des profs sympathiques, compréhensifs, assez pédagogues (et j’en ai eu qui étaient tout le contraire), mais j’ai surtout eu des professeurs qui m’ont fait découvrir le plaisir d’écrire.

Et ça, on s’en doute, ça a durablement marqué mon histoire.

En 6e, j’avais une prof de français un peu ambivalente.

Elle était à la fois assez sexy et un peu effrayante.

(Là encore, remettez-vous dans votre schème collégien)

Donc, assez géniale mais un peu sévère.

Je pense d’ailleurs qu’elle avait un avis assez ambivalent à mon égard aussi.

J’étais une vraie bille en orthographe, je ne comprenais rien aux règles grammaticales, mais j’excellais en dissertation.

Je n’ai pas souvenir d’avoir eu d’écriture d’invention, ou de mini dissertations avant d’arriver au collège. Ça m’arrivait d’écrire dans un petit carnet de brouillon quelques histoires de familles chats qui étaient parfois illustrées de dessins horribles de mon grand frère, mais jamais de cadre officiel, scolaire, avec une certaine contrainte.

C’est au collège que j’ai découvert la dissertation.

À cette époque, écrire plus qu’une copie-double relevait de l’incroyable.

8 ans plus tard, ce sont des dizaines de copies-doubles que je gribouillerais en prépa.

Mais pour l’instant, nous sommes un vendredi après-midi, je suis sans doute très mal habillée (tout en étant persuadée d’avoir mon propre style) et alors que toute la classe s’agite comme les coureurs se trémoussent sur la ligne de départ, nous attendons que le sujet soit déposé sur notre table.

Je m’arme de mon stylo plume, et je fonce.

Les minutes filent et je ne relève pas une seule seconde mon nez de la feuille.

D’ailleurs, ce n’est pas une feuille sur laquelle j’écris, c’est un livre.

Je suis TRÈS loin de notre salle de cours, de la dissertation, je suis dans un autre univers où mon personnage principal est retourné dans le monde des morts, et cherche à présent à traverser le Styx pour retrouver un être perdu.

(Je tiens à préciser que c’est la prof qui a participé à dresser ce décor)

Après une courte négociation, il est convenu que mon personnage cède son pouce à Charon, le passeur du Styx. Oui, le pouce, allez savoir pourquoi Charon en avait besoin, mais il se trouve que dans mon histoire, ça lui convenait parfaitement.

Donc, voilà que je m’arrache un pouce – enfin à mon personnage – , avec les dents (ben là aussi, il me fallait une solution, je n’avais pas pensé à partir avec un sac à dos de survie). Que je traverse le Styx, la main sanguinolente, mais ça va, ça ne fait pas si mal, l’histoire avance tranquillement… Et que je me retrouve devant Cerbère. Le chien à trois têtes gardant la porte des enfers.

J’aurais pu imaginer que j’étais partie avec des croquettes, ou un os… quelque chose de classique.

Mais non, j’étais partie à poil comme on dit, sans penser qu’en allant aux enfers j’allais devoir affronter des épreuves un peu tendues.

Mais l’imaginaire d’une ado n’a pas de limites.

Voilà donc mon personnage en train de fabriquer une balle, de la barbouiller du sang de son pouce arraché et de le jeter aux chiens, qui immédiatement se mettent à jouer avec.

(Ok, aujourd’hui, si je recevais un texte comme ça, je dirais tout de suite qu’il n’y a aucune cohérence)

Mon personnage passe – sans problème – les portes de l’enfer, et remplit sa mission (dont j’ai fini par oublier l’objectif aujourd’hui, mais en même temps, quel voyage, quel trajet !)

Deux semaines plus tard, notre prof nous distribue nos travaux, elle me félicite, je crois que j’ai la meilleure copie de la classe.

Et aujourd’hui, je me demande si elle a vraiment lu jusqu’au bout, ou si elle n’a pas mis un 17 au moment où elle a senti que le texte commençait à vriller et qu’elle ne tiendrait pas plus longtemps de voir mon personnage se mutiler petit à petit.

MAIS, ce qui est important c’est qu’à ce moment-là, j’ai réalisé à quel point mon imaginaire pouvait s’emballer, à quel point l’écriture n’avait pas (ou peu) de limites, à quel point je pouvais m’embarquer dans une histoire mais également embarquer l’autre dans mon histoire…

À partir de cette dissertation, la prof m’a demandé si elle pouvait photocopier mes copies pour les distribuer aux autres élèves. J’étais lue par les autres, c’était super gênant, mais assez glorifiant également.

Je me demande si c’était une bonne idée, et je crois mieux comprendre pourquoi j’ai perdu tous mes amis cette année-là.

Chaque année, j’ai eu la chance d’avoir un prof de français qui me donnait un feu vert à l’écriture, et chaque année ma créativité s’est développée, mon imaginaire s’est déployé, malgré les multiples fautes qui jonchaient mes copies. Chaque année, j’ai affiné mon goût pour la littérature et l’écriture, pour en arriver à aujourd’hui, où je vous raconte tout ça.

 

Tout ça, qui se résume à ça : soyons attentifs à toutes nos petites épiphanies, à tous ces éclairs de lucidité, à ces plaisirs inconscients, à ces rencontres fugaces et cultivons leurs effets.

 

 

Julia / Poisson-Plumes